La vie et l’œuvre du serviteur de Dieu, le frère Marie-Joseph Lagrange (1855-1938), fondateur de l’École biblique de Jérusalem, peuvent devenir une lumière et une référence à l’heure où l’Église catholique s’évertue à renouveler son élan missionnaire, ses méthodes et son langage en célébrant le synode de la Nouvelle Évangélisation[1] et l’Année de la Foi.
Brève biographie[2]
Albert Lagrange est né à Bourg-en-Bresse le 7 mars 1855, fête à cette époque de saint Thomas d’Aquin. Après avoir suivi la formation du petit séminaire d’Autun, il entreprit des études de droit à Paris qui furent couronnées par une thèse de doctorat. Séminariste pendant une année au grand séminaire d’Issy-les-Moulineaux, il entra comme novice dominicain pour la Province de Toulouse le 6 octobre 1879 au couvent de Saint-Maximin (Var) dans le diocèse de Fréjus-Toulon. Le frère Hyacinthe-Marie Cormier, prieur provincial, béatifié par le bienheureux pape Jean-Paul II en 1994, lui donna l’habit de lumière de saint Dominique et le revêtit de sa propre ceinture en signe d’amitié.
En 1880, à la fin de son noviciat, il dut quitter la France pour le couvent de Salamanque avec tous ses frères dominicains suite aux décrets politiques contre les congrégations religieuses. Ordonné prêtre à Zamora le 22 décembre 1883, il put retourner à Toulouse en 1886 où il enseigna la philosophie, l’histoire de l’Église et l’exégèse biblique. En 1888, le frère Réginald Colchen, prieur provincial, l’envoya à l’université de Vienne pour parfaire sa connaissance des cultures et des langues orientales : hébreu, araméen, arabe, égyptien…
Choisi pour fonder l’École biblique de Jérusalem inaugurée en 1890, il créa aussi la Revue biblique en 1892. C’est à Jérusalem qu’il passa quarante-cinq années de sa vie au service de l’intelligence de la Bible.
Homme complet, unifié et illuminé par une vie de prière intense, il œuvra pour le salut des âmes en reliant la foi et la science ; l’esprit critique appliqué à l’histoire et l’esprit surnaturel ; les documents et les monuments ; la topographie et les textes bibliques.
De retour en France en 1935 pour des raisons de santé, il marqua par son exemple aussi bien les jeunes générations de dominicains que des universitaires d’Aix-en-Provence et de Montpellier.
Il partit vers le Père le 10 mars 1938 dans sa 83e année. Enseveli à Saint-Maximin, sa dépouille mortelle fut ramenée dans le chœur de la basilique Saint-Étienne de Jérusalem. Sa cause de béatification est en cours. Serviteur de Dieu, il continue d’éclairer le chemin des chercheurs de Dieu par son intercession et par ses nombreux écrits.
Les nouveaux défis
À l’image des chrétiens d’aujourd’hui, le père Lagrange a dû relever des défis difficiles. Face au modernisme, philosophie rationaliste, qui réduisait la Bible au statut de simple production littéraire humaine sans origine divine, le père Lagrange a consacré sa vie dans la prière à l’étude scientifique et à l’enseignement de l’Écriture sainte.
Pour la foi catholique, le Saint-Esprit est l’auteur de la Révélation mais cette manifestation de la volonté de Dieu aux hommes est passée par l’inspiration des prophètes, des évangélistes et des apôtres, de manière telle que leur message était cent pour cent humain et cent pour cent divin. Loin d’être une dictée, la Révélation a tenu compte de la culture du peuple d’Israël. D’où l’importance capitale des médiations humaines pour accéder à la connaissance divine : les langues, les coutumes, l’histoire, les paysages, l’archéologie… Le Verbe s’est fait chair dans le sein d’une femme juive, Marie, et il a dévoilé la plénitude du mystère de Dieu que personne n’a jamais vu. « La Parole s’est faite chair dans des mots », comme aimait à le dire le théologien espagnol Cabodevilla[3]. C’est pourquoi le père Lagrange s’attachera à l’étude des langues modernes (anglais, allemand, italien), et anciennes. Au petit séminaire d’Autun, il connaissait déjà par cœur l’Évangile selon saint Luc en grec.
Le père Lagrange répondra à la critique scientifique par la critique scientifique. Fin connaisseur de l’exégèse allemande libérale et des philosophies rationalistes, il établira un dialogue précis et respectueux avec ceux qui rejettent la foi catholique et sa Tradition, c’est-à-dire sa transmission de la Parole de Dieu commentée par les docteurs de l’Église qui l’ont actualisée au cours de l’histoire. Ce faisant, il apprend à « prendre les taureaux par les cornes ». Soucieux du salut des âmes, le père Lagrange étudie, dialogue, répond, corrige et montre la voie. Disciple de saint Thomas d’Aquin, il ne s’acharne point sur les personnes qui prônent des interprétations de la Bible opposées à la sienne, mais il relève les failles dans les démonstrations qui se veulent scientifiques.
Lors de la fondation de l’École biblique de Jérusalem le 15 novembre 1890, le père Lagrange crée aussi une école de théologie thomiste pour relier l’exégèse et la théologie. À Salamanque, pendant les quatre ans de sa formation théologique, le père Lagrange approfondit sa connaissance de la Somme théologique du Docteur Angélique. Par la suite, il continuera de citer saint Thomas d’Aquin dans ses commentaires de la Bible surtout à propos de la prophétie. Il arrive que des exégètes soient forts d’érudition linguistique mais faibles en théologie. Ce n’était pas le cas du père Lagrange qui trouva toujours un soutien sûr dans la pensée du « bœuf muet de Sicile », surnom qui lui était donné à cause de son amour du silence.
Faire du neuf
À Port-au-Prince (Haïti), en 1983, le pape Jean-Paul II développa le sens de la Nouvelle évangélisation, terme qu’il avait utilisé pour la première fois quelques années auparavant en Pologne : « La commémoration du demi millénaire d’évangélisation aura sa signification totale si elle est votre engagement comme évêques, unis à vos prêtres et fidèles; engagement non de ré-évangélisation mais d’une nouvelle évangélisation. Nouvelle par son ardeur, par ses méthodes, dans son expression »[4]. Il est significatif que cet appel à la Nouvelle évangélisation ait été lancé en Haïti où l’Église catholique perd beaucoup de ses membres au profit des sectes. En Amérique latine comme dans le reste du monde, les catholiques ont besoin d’un nouvel élan et de nouvelles approches pour annoncer la Parole de Dieu.
L’écrivain italien Giovanni Papini reprochait aux thomistes d’ « avoir arrêté l’horloge de l’histoire au XIIIe siècle ». Marie-Joseph Lagrange a toujours été habité par une vision dynamique et progressive de l’histoire et de l’exégèse. Pour lui, la vérité était « une vérité en marche ». Dans son discours pour l’inauguration de l’École biblique de Jérusalem, il avait déjà entrevu le beau chemin à parcourir : « Dieu a donné dans la Bible un travail interminable à l’intelligence humaine et, remarquez-le bien, il lui a ouvert un champ indéfini de progrès dans la vérité »[5]. À la suite de saint Vincent de Lérins, le père Lagrange tenait à l’idée du développement de la connaissance de Dieu qui s’exprime dans les dogmes. Il ne s’agit pas d’un changement mais d’un progrès à la manière de la maturation du grain de blé qui devient épi ou de l’enfant qui parvient à l’âge adulte. D’une manière poétique, Juan Ramón Jiménez, Prix Nobel de littérature en 1956, reliait ainsi l’ancien et le nouveau : « Des racines et des ailes. Mais que les ailes s’enracinent et que les racines volent. » Cette découverte infinie de la vérité se trouve explicitée dans l’Évangile. Jésus exige du bon professeur qu’ « il tire de son trésor du neuf et de l’ancien ». Le chrétien n’est pas un répétiteur ni la vie spirituelle un moule. « Chacun va à Dieu par un chemin virginal », s’exclamait le poète Léon Felipe. Il n’y a pas un seul évangile mais quatre approches différentes du mystère de la vie de Jésus et ces quatre évangiles vont engendrer une multitude de commentaires et d’approfondissement au cours de l’histoire de l’Église qui manifesteront la richesse inépuisable de la Parole de Dieu, transmise de génération en génération sous l’action de l’Esprit Saint.
La famille
La foi du père Lagrange a été façonnée dans la cellule familiale, « église domestique ». Sa mère Élisabeth Falsan, d’origine lyonnaise, l’avait imprégné de la spiritualité mariale à l’Immaculée Conception. Mère physique et mère spirituelle, Élisabeth tirait vers le haut l’âme de son fils l’appelant au sacrifice et au don de lui-même. La mère du père Lagrange montre l’importance de la maternité spirituelle.
Jadis la femme orientait l’homme vers l’Église alors que celui-ci s’en détournait ; comme le dit le grand poète italien Dante : « Je regardais Béatrice et Béatrice regardait Dieu. » Il allait à Dieu par la femme aimée, Béatrice, qui tournée vers le Seigneur, le conduisait au Ciel. Aujourd’hui, la femme accomplit moins cette mission d’engendrer à la vie de Dieu. En quelques dizaines d’années, la femme a expérimenté plusieurs révolutions : le travail, la participation active à la politique, le contrôle médical de sa fécondité, la possibilité d’avoir des enfants sans rapports sexuels… L’absence de vocations à la vie religieuse féminine reflète aussi le changement de mentalité chez la femme qui se situe autrement que les générations précédentes dans la vie sociale et ecclésiale. Il importe de mettre en lumière la vocation de fécondité spirituelle de la femme, reléguée souvent à un plan secondaire par rapport à la réussite professionnelle et à l’épanouissement personnel dans les loisirs.
Claude Lagrange, le père, exerçait comme notaire à Bourg-en-Bresse. Il a laissé sur son fils la profonde empreinte de son dévouement fidèle et de son honnêteté.
Albert Falsan, oncle maternel et parrain, géologue, initia le futur exégète Lagrange à l’étude des strates géologiques, marteau à la main. Le fondateur de l’École biblique s’inspira de cet exemple pour scruter les strates des textes anciens sur le terrain et pas uniquement dans les bibliothèques.
L’enfance du père Lagrange s’est déroulée sur le terreau de la foi et de la prière. La célébration des sacrements du baptême, de la première communion et de la confession ont purifié et affermi l’âme de celui qui deviendra maître en exégèse et en vie morale et spirituelle. Au moment de son adolescence, il s’ouvrit aux pauvres par sa participation à la Conférence Saint-Vincent-de-Paul, véritable pédagogie qui fait sortir les jeunes du souci narcissique d’eux-mêmes afin de servir les ignorants et les malades. En relisant son parcours de vie, le père Lagrange attribuait un grand rôle à cette démarche qui lui permit de franchir des étapes dans la structuration de sa personnalité selon l’Évangile.
Ces exemples nous renvoient à la nécessité de l’évangélisation dans la famille dont chacun des membres a une mission spécifique à réaliser. Les parents sont les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants, aidés par leurs proches : oncles, tantes, parrains et marraines, éducateurs et professeurs…
Le moment du grand choix
Saint Thomas d’Aquin traite dans ses écrits de l’âge où le jeune doit décider du sens qu’il donne à sa vie. Le philosophe Jean Guitton, membre de l’Académie française, laïc invité au concile Vatican II, ancien élève du père Lagrange à Jérusalem, plaidait pour la cause de béatification du fondateur de l’École biblique car son œuvre et sa spiritualité répondaient aux besoins de l’homme contemporain pour qui la Bible risque d’être considérée comme un livre sans portée surnaturelle. Face aux critiques des sciences humaines, l’Église se doit d’apporter des réponses scientifiques aux questions scientifiques, ce qui a été fait par le père Lagrange qui a combattu le modernisme en utilisant les mêmes armes que lui.
Il est vrai que l’homme doit choisir le sens qu’il donne à son existence. Mais cette réalité du discernement et du choix est particulièrement propre à la jeunesse. Marie-Joseph Lagrange, homme de culture et de foi, scientifique et généreux dans le don de sa vie au service de Dieu, brille comme un phare pour ceux qui cherchent dans les ténèbres une lumière pour guider leurs pas. Il était un passionné de la Parole de Dieu, de littérature et d’art, de la mystique et de la mission à accomplir.
La jeunesse cultivée et universitaire peut y trouver un modèle proche et adapté qui lui permette de relire et d’orienter son action.
Pour une interprétation scientifique de l’histoire
Le philosophe espagnol Ortega y Gasset appelait l’historien « un prophète à l’envers »[6]. Si le prophète interprète l’avenir, l’historien scrute et explique le passé. La tâche de l’historien ne va pas sans des aspects mystérieux voire visionnaires. « L’histoire se fait avec des documents et des monuments », disait le père Lagrange. L’historien examine les manuscrits, les pierres, les épigraphies, les ruines et les monuments à la manière d’un plongeur qui essaie de reconstituer la vie du bateau qui gît sur le sable marin depuis des siècles. Chaque objet éveille en lui l’imaginaire mais cet imaginaire n’est pas à confondre avec la fantaisie. Ce que l’historien rêve est soumis au filtre de la raison et des critères scientifiques de vérification. L’étude du passé projette une lumière sur la vie présente et il est vrai que rien ne peut être bien saisi sans la perspective historique. La recherche historique comporte une quête du sens de la propre vie de l’historien qui aborde la problématique d’hier avec ses questions, ses doutes et ses convictions.
Le père Lagrange a fait œuvre scientifique dans ses études bibliques et historiques. Il avait constaté que « tout ce qui a l’apparence de l’histoire n’est pas de l’histoire ». Sa méthode historico-critique plaçait les textes et les personnages historiques dans leur contexte en tenant compte des genres littéraires et de la manière de faire de l’histoire dans l’Antiquité qui ne ressemble pas aux méthodes modernes d’analyser les faits et les coutumes des sciences humaines. Ses conférences à Toulouse sur la méthode historique marqueront d’une pierre blanche l’histoire de l’exégèse. Cela dit, son interprétation biblique s’enrichissait de l’apport des Pères de l’Église avec les sens spirituels de l’Écriture comme le propose aujourd’hui le pape Benoît XVI. L’exégèse est au service de la théologie. La Bible reçoit aussi la lumière de la Tradition, c’est-à-dire de la Bible commentée dans la lumière de la foi au cours de l’histoire de l’Église, ainsi que du Magistère guidé par l’Esprit.
En son temps, le père Lagrange a été perçu comme un pionnier audacieux au point que certains lui ont reproché un esprit progressiste et rationaliste. Aujourd’hui il n’est pas rare de le voir cité dans des ouvrages de théologie et d’exégèse comme faisant autorité. Des chrétiens de sensibilité traditionnelle l’invoquent parfois comme un homme de foi et de fidélité au Magistère au grand étonnement de ceux qui connaissent les difficultés qu’il a rencontrées en son temps, en raison de son attachement à « la Vérité en marche ».
La communication par l’écriture
Le philosophe Michel Serres, décrit dans l’un de ses articles la « génération du pouce » qui passe beaucoup de temps à envoyer des messages par le téléphone mobile en utilisant essentiellement les pouces. Il arrive que des jeunes s’écrient : « Ah, j’ai mal aux doigts à force d’écrire sur mon Smartphone ! » Aujourd’hui les jeunes communiquent souvent et beaucoup par des messages plutôt courts et émotifs mais non nécessairement dépourvus de réflexion. Combien de fois j’entends des adultes affirmer que les jeunes contemporains sont plus mûrs qu’eux à leur âge !
Le père Lagrange écrivait beaucoup. L’ensemble de son œuvre compte seize mille pages : livres, articles, lettres, journaux spirituels… Nous avons les lettres qu’il a envoyées mais celles qu’il a reçues ont été en grande partie détruites par le frère Hugues Vincent, o.p., qui disait avoir accompli la volonté de son ami et maître à l’École biblique de Jérusalem. Il écrivait régulièrement et sur des sujets variés.
Le père Lagrange a utilisé les médias de son temps : courrier postal, télégraphe, livres et revues… Il avait appris les langues vivantes et anciennes de manière à commenter la Bible « pour le salut des âmes ». Ses études scientifiques paraissent dans la Revue biblique fondée en 1892 et dans la collection « Études bibliques ». Quand il commençait un projet il entrevoyait déjà les différentes étapes à vivre. À chaque innovation, il prenait soin de coucher par écrit l’esprit, les enjeux, le but sans taire les difficultés de l’entreprise. Des mots clés surgissent alors : nouveauté, liberté dans la recherche, progrès dans la vérité. Saint Thomas d’Aquin, découvert lors de sa formation à Salamanque, demeure la lumière de ses réflexions théologiques : « Dans les choses qui ne sont pas de la nécessité de la foi, il a été permis aux saints, il nous est permis à nous d’opiner de diverses manières[7]. »
Grand voyageur, il a découvert non seulement des pays différents – Espagne, Suisse, Autriche, Israël, Italie, Égypte, Turquie – mais aussi des personnes de cultures et de continents fort divers. Il voyageait en bateau et son port de départ et d’arrivée pour la France était Marseille. C’est au couvent des Dominicains de la rue Edmond-Rostand de Marseille, à l’époque rue Monteaux, qu’il se rendait lors de ses déplacements dans sa chère patrie.
Pour une théologie de la communication
Homme de communication, le père Lagrange va loin dans ses relations avec les hommes car il approfondit la communication avec Dieu dans la prière. Le cardinal Martini, ancien archevêque de Milan, formé dans ses débuts d’exégète par les écrits du fondateur de l’École biblique de Jérusalem, n’hésitait pas à mettre en valeur « la prière de feu » et la sainteté du père Lagrange[8].
Soucieux de s’adresser au grand public, il rédige L’Évangile de Jésus-Christ en 1928 qu’il dédie au pape Léon XIII, grand apôtre de la prière du Rosaire, résumé de l’Évangile. Dans son avant-propos daté du mois de mai 1928 à Jérusalem, le père Lagrange manifeste son désir de rejoindre « des personnes absorbées par un travail manuel[9] ».
Le chapitre général de l’ordre des Prêcheurs célébré à Rome au mois de septembre 2010 recommande « que dans tous les centres de formation de l’ordre soit incluse l’étude de la théologie de la communication comme préparation à l’exercice du ministère de la Parole[10] ». D’aucuns se demandent ce qu’est la théologie de la communication[11]. De quoi s’agit-il au juste ? Pourquoi est-elle si importante qu’il faille l’enseigner dans tous les studium de l’Ordre ?
La théologie scrute le mystère de Dieu mais comme personne ne l’a jamais vu, c’est à travers la Révélation biblique et la création que l’homme s’élève vers Lui. La création et la Bible représentent les deux livres dans lesquels nous pouvons connaître Dieu. Saint Jean, dans son Prologue, au verset 18, utilise le mot grec qui a donné exégèse en français pour signaler le travail du Fils unique de Dieu : expliquer, présenter, conduire au Père.
La théologie est un discours sur Dieu dans la lumière de la foi. Dans cette science divine, l’homme regarde le monde avec les yeux de Dieu comme l’enseigne saint Thomas d’Aquin dans la Somme théologique : « Dans la doctrine sacrée, on traite tout sous la raison de Dieu, ou du point de vue de Dieu, soit que l’objet d’étude soit Dieu lui-même, soit qu’il ait rapport à Dieu comme à son principe ou comme à sa fin[12] ».
La théologie de la communication aborde la foi en clé de communication. Comment Dieu communique-t-il ? Pourquoi et comment Dieu va-t-il à la rencontre de l’homme ? En quoi la communication humaine dit-elle quelque chose de Dieu ? La communication produite par l’œuvre de Dieu va nous dire le cœur du Créateur invisible, sa propre communication, son dessein et son être. La Première épître de saint Jean dévoile le mystère de Dieu en le définissant comme Amour et l’amour suppose relation et communication : « Dieu est Amour[13] ».
Le père Lagrange a commenté en exégète et en homme de foi les Évangiles où Jésus agit comme le révélateur du Père[14] qui est Amour. Disciple heureux du Docteur Angélique, le père Lagrange utilise tous les moyens scientifiques et culturels à sa portée pour dire à travers ces médiations le mystère de Celui qui est Esprit. Sensible et attaché à la beauté, il ne cherche pas l’émotion dans des propos pieux mais la vérité. En cela il suit la méthode des rédacteurs des évangiles. Si chacune de ses pages commence par un Ave Maria ses phrases visent la justesse et l’objectivité : « La divine impassibilité des évangélistes n’est-elle pas l’expression la plus émouvante de l’étonnement de l’âme en présence du mystère de la Rédemption ? L’amour vient après, dans la méditation des textes sacrés, lumière, force, vie. C’est à eux qu’il faudra toujours revenir[15] ».
Aujourd’hui les professionnels de communication visent souvent l’émotion. La musique et l’image sont susceptibles de déclencher des battements de cœur et des larmes. Le spectateur est alors « pris », il peut devenir « consommateur docile ». Outre son ascendance lyonnaise par sa mère, qui le rendait réservé, le père Lagrange cherchait à communiquer « la vérité qui rend libre »[16] et cette vérité divine est enseignée à l’homme par l’Esprit Saint lui-même : « L’Esprit de vérité vous introduira dans la vérité tout entière[17] ».
La théologie de la communication met en parallèle l’approche théologique et les sciences humaines d’où il ressort un nouveau regard sur la Trinité, la christologie, l’ecclésiologie et la Nouvelle Évangélisation. Les cardinaux Georges Cottier, théologien du bienheureux pape Jean-Paul II, et John Patrick Foley, en présentant la thèse doctorale de Christine A. Mugridge et Marie Gannon[18], ont mis en lumière de manière officielle l’harmonie entre la sagesse divine révélée dans la Bible et les sciences humaines de la communication.
La communication peut être définie comme « une mise en commun». Dans la Trinité, l’Esprit Saint est la mise en commun du Père et du Fils. Pour la foi chrétienne, la communication des trois Personnes divines dans la Trinité est la source, le modèle et la fin de la communication humaine. Dieu est relation sans domination. Le Père ne pense jamais à lui-même et toute sa vie passe dans le Fils. Le Fils reçoit tout du Père et dans l’action de grâce se donne entièrement à Lui en accomplissant sa volonté. L’Esprit Saint est la communication, le partage, le va-et-vient, la mise en commun, le don, l’amour et la communion du Père et du Fils. Saint Bernard de Clairvaux l’appelle « le baiser du Père et du Fils ». C’est l’Esprit Saint qui réalise l’unité dans l’Amour. C’est pourquoi il est invoqué dans les prières liturgiques après le Père et le Fils. La préposition « dans » utilisée dans les prières montre son rôle d’union et de communion. L’ordre de la prière dévoile les différentes missions des Personnes divines. Le Père est cité en premier car tout trouve en lui son origine. Le Fils vient ensuite car Il est le médiateur tandis que le Saint-Esprit est l’amour qui fait culminer les relations trinitaires dans la plénitude.
La communication de Jésus de Nazareth manifeste cette communication sans domination qu’il est venu révéler et proposer à l’humanité.
Le mystère de l’Incarnation représente la volonté du Fils de Dieu de partager la condition humaine pour que l’humanité partage la gloire divine. L’Église est un mystère de communication et de communion exprimé par l’image de la vigne dans l’Évangile selon saint Jean au chapitre quinzième et par l’exemple du corps humain appliqué au Corps du Christ, dont les chrétiens sont les membres recevant la vie de leur tête, le Christ.
Le père Lagrange a partagé sa foi et ses connaissances toute sa vie au service de l’Évangile. À la suite de saint Thomas d’Aquin, il a transmis aux autres le fruit de sa divine contemplation. Religieux dominicain, il aimait la vie communautaire. Homme complet, comme aimait à en témoigner son disciple le frère Roland de Vaux, il établit l’École pratiques d’études bibliques au couvent dominicain Saint-Étienne de Jérusalem. Pour lui, l’exégète non seulement étudiait la Bible dans les bibliothèques et sur le terrain en Israël, mais il l’accueillait dans son cœur dans la prière et la lectio divina de manière à la communiquer dans la prédication. Il fallait surtout que cette Parole soit mise en pratique dans la charité fraternelle comme le dit l’apôtre saint Jacques : « Mettez la Parole en pratique[19]. » La Traduction Œcuménique de la Bible (T.O.B.) traduit : « Soyez les réalisateurs de la Parole. » Ici le mot grec utilisé par saint Jacques peut nous surprendre : poiétai. Il s’agit de devenir « les poètes du Verbe ». Le verbe grec poiesis se traduit en français par faire. Il est beau de relier l’action à la poésie. La poésie représente une création. Les saints embellissent le monde en le transformant par l’énergie de l’amour. Dans son Journal spirituel, le père Lagrange revient souvent sur le cœur du christianisme : la charité. En choisissant et rassemblant des mots, le père Lagrange « poétisait » la vie. Le prophète Isaïe compare la fécondité de la prédication à la puissance vivifiante de la pluie par qui la terre porte du fruit. Le père Lagrange réalisait la Parole dans l’étude et l’enseignement, actes de charité, la charité de la vérité. La Vérité étant le don par excellence. Si de nombreux saints ont servi l’humanité par des aumônes et des soins médicaux, les prêcheurs accomplissent le service de la Vérité par l’annonce de la Parole de Dieu. Pour saint Thomas d’Aquin, le but de la vie religieuse n’est rien d‘autre que la charité. « Enseigner, c’est aimer », écrivait le philosophe espagnol Joaquim Xirau (1895-1946), pour qui la transmission du savoir passe par la bonté. Enseigner l’Évangile, c’est aimer l’autre en lui donnant Dieu. L’évangélisation engendre en ce sens une nouvelle création avec des mentalités et des relations nouvelles.
Homme de communication et de communion, le père Lagrange entretenait des relations de proximité avec les membres de sa famille malgré la distance géographique. L’étymologie latine de communion ne vient pas de cum- unio mais de cum-munis dont le sens est « le partage des charges ». Le père Lagrange a assumé la charge priorale à Jérusalem ainsi que la direction de l’École biblique et de la Revue biblique sans oublier l’enseignement. Les philosophes pythagoriciens transmettaient le proverbe : « Entre amis tout est commun ». Homme de grandes et fidèles amitiés, comme le montre sa correspondance, le père Lagrange manifestait son affection et son idéal chrétien dans ses relations amicales avec ses anciens camarades du séminaire et avec les professeurs de l’École biblique, ainsi qu’avec les laïcs et les religieux qui lui rendaient visite à Jérusalem. La messe quotidienne lui apportait la communion avec le Christ et avec l’Église du Ciel et de la Terre dans le mystère de la communion des saints. Cette passion pour l’unité éveillait en son cœur de grandes souffrances lors des incompréhensions, comme celles de l’année 1912, année terrible pour le père Lagrange. Victime du soupçon sans précision ni fondement, il dut quitter la Ville sainte. Son exil en France ne dura que quelques mois. En juin 1913, il fut invité à rejoindre son couvent et son École biblique. Parti sans explications concrètes en septembre 1912, il retrouva son poste sans arguments nouveaux en juillet 1913. Des dénonciations calomnieuses étaient à l’origine de cette méfiance[20]. Grâce à Dieu, ce genre de méthodes est devenu rare dans l’Église.
Façonné par « Dieu est communication et communion », il s’est évertué à développer la communion[21] des hommes avec le Christ et entre eux. Le père Lagrange n’a pas enseigné la théologie de la communication de manière explicite, mais son souci de communiquer l’Évangile pour le salut des âmes correspond aux enjeux de la prédication aujourd’hui, tels que l’exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini[22] les a présentés en soulignant l’importance de la Terre sainte, « cinquième évangile », l’interprétation de la Bible et l’annonce de la Parole du Seigneur dans la société contemporaine. Les écrits du fondateur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem situent Jésus avec toute la richesse divine et humaine de sa personnalité dans le contexte culturel de son pays, tandis que ses commentaires bibliques sont porteurs du trésor des homélies et des traités théologiques des Pères de l’Église. Il est habituel chez le père Lagrange de clore l’étude serrée d’un texte biblique par une pensée spirituelle tirée de l’expérience mystique de l’Église. Chez lui l’approche historico-critique va de pair avec la lecture spirituelle et symbolique de la Tradition de l’Église.
La dimension sacramentelle de la Parole de Dieu
Dès le premier numéro de la Revue biblique en 1892, le père Lagrange met en relief la dimension sacrée de la Bible : « J’oserai dire que l’Écriture sainte est, comme les sacrements, une chose sainte[23] » ; « L’Écriture sainte, comme substance divine, comme manne de l’intelligence, dans son dogme et dans sa morale, dans ses conseils pratiques par les religieux, et par conséquent connus dans leur saveur intime, est vraiment pour l’Église catholique, après l’Eucharistie, le Verbe de Dieu qui nourrit[24] ».
C’est dans la célébration liturgique, haut lieu de la pédagogie de l’Église, que le père Lagrange ressentait en lui-même la grâce de la Parole : « J’aime entendre l’Évangile chanté par le diacre à l’ambon, au milieu des nuages de l’encens : les paroles pénètrent alors mon âme plus profondément que lorsque je les retrouve dans une discussion de revue[25]. »
Défendre la dimension surnaturelle de la Bible et son inspiration par le Saint-Esprit a été la fin du labeur et des sacrifices du père Lagrange : « La Bible est un livre inspiré. Quelque part qu’on fasse à la collaboration de l’homme, c’est un livre dont Dieu est l’auteur et dont l’interprétation authentique n’appartient qu’à l’Église. Dès les premiers siècles, on la considéra comme un dépôt sacré ; durant la persécution de Dioclétien, des chrétiens moururent pour ne pas la livrer aux infidèles : c’eût été selon leur forte expression empruntée au Livre saint lui-même, jeter les perles aux pourceaux. Peinte en or et en argent sur fond de pourpre, elle composait le plus riche trésor des bibliothèques monastiques. Saint Dominique, en la méditant, mouillait de ses larmes les pages divines[26]. »
La joie comme pédagogie
À Jérusalem, le père Lagrange soutenait l’apostolat des Frères des écoles chrétiennes, fondées par saint Jean Baptiste de la Salle, qui éduquaient des milliers d’enfants en Terre sainte. Il leur conseillait la joie comme pédagogie évangélique[27].
Aujourd’hui encore la joie témoigne de la foi dans la Bonne Nouvelle. Il y a la joie immense de certains rassemblements comme les JMJ. Cette joie trouve ses racines dans la Croix du Christ. Il ne s’agit pas d’un bien-être éphémère mais d’un fruit de la présence de l’Esprit Saint tel que saint Paul le décrit dans son Épître aux Galates (5, 22).
Les papes Paul VI et Jean-Paul II citent le père Lagrange
Le 14 mars 1974, lors de la réception des membres de la Commission biblique pontificale, le pape Paul VI avait mis en valeur l’apport du père Lagrange à l’étude critique de la Bible[28]. Voici ce long texte qui me paraît important pour préparer le colloque :
Cette connexion essentielle entre la Bible et l’Église ou, si vous préférez, cette lecture de la Sainte Écriture in medio Ecclesiae, confère aux exégètes de l’Écriture sainte, et tout particulièrement à vous, membres qualifiés de la Commission biblique pontificale, une fonction importante au service de la parole de Dieu. Aussi nous sentons-nous encouragés à regarder avec sympathie, bien plus, à soutenir et à donner vigueur à ce caractère ecclésial de l’exégèse contemporaine. Votre travail ne consiste donc pas simplement à expliquer des textes anciens, à rapporter des faits de manière critique ou à remonter à la forme primitive et originelle d’un texte ou d’une page sacrée. C’est le devoir primordial de l’exégète de présenter au peuple de Dieu le message de la Révélation, d’exposer la signification de la parole de Dieu en elle-même et par rapport à l’homme contemporain, de donner accès à la Parole, au-delà de l’enveloppe des signes sémantiques et des synthèses culturelles, parfois éloignés de la culture et des problèmes de notre temps. Quelle grande mission vous incombe vis-à-vis de l’Église comme de toute l’humanité ! Quelle contribution à l’évangélisation du monde contemporain !
Pour illustrer cette responsabilité et pour vous défendre des fausses pistes dans lesquelles l’exégèse risque souvent de se fourvoyer, nous allons emprunter les paroles d’un grand maître de l’exégèse, d’un homme dans lequel ont brillé de façon exceptionnelle la sagacité critique, la foi et l’attachement à l’Église : nous voulons dire le P. Lagrange. En 1918, après avoir tracé le bilan négatif des diverses écoles de l’exégèse libérale, il dénonçait les racines de leur échec et de leur faillite dans ces causes : opportunisme doctrinal, caractère unilatéral de la recherche et étroitesse rationaliste de la méthode. « Dès la fin du XVIIIe siècle, écrivait-il, le christianisme se mettait à la remorque de la raison ; il fallut plier les textes à la mode du jour. Cet opportunisme inspira les commentaires des rationalistes. » Et il continue : « Tout ce que nous demandons de cette exégèse indépendante, c’est qu’elle soit purement scientifique. Elle ne le sera tout à fait qu’en se corrigeant d’un autre défaut commun à toutes les écoles que nous avons énumérées. Toutes ont été einseitig, ne regardant que d’un seul côté » (M. J. Lagrange, Le Sens du christianisme d’après l’exégèse allemande, Paris, Gabalda, 1918, pp. 323, 324, 328). Le P. Lagrange mettait en cause un autre caractère des critiques : le dessein arrêté de ne pas accepter le surnaturel.
Ces remarques conservent, aujourd’hui encore, un caractère d’urgence et d’actualité. On peut y ajouter aussi, pour les expliciter, une invitation à ne pas exagérer ni à transgresser les possibilités de la méthode exégétique adoptée, à ne pas en faire une méthode absolue comme si elle permettait, et elle seulement, d’accéder à la Révélation divine. Il faut se garder également d’une remise en question systématique visant à affranchir toute expression de la foi d’un solide fondement de certitude.
Ces chemins aberrants seront évités si l’on suit la règle d’or de l’herméneutique théologique énoncée par le concile Vatican II : celui-ci demande d’interpréter les textes bibliques « en prêtant attention au contenu et à l’unité de l’Écriture tout entière, compte tenu de la Tradition vivante de toute l’Église et de l’analogie de la foi » (Dei Verbum, n° 12). « On ne saurait retrouver le sens du christianisme – c’est encore le P. Lagrange qui parle – par un groupement de textes si l’on ne pénètre pas jusqu’à la raison d’être du tout. C’est un organisme dont le principe vital est unique. Or il est découvert depuis longtemps, et c’est l’incarnation de Jésus-Christ, le salut assuré aux hommes par la grâce de la rédemption. En cherchant ailleurs, on s’exposerait à faire fausse route » (Op. cit., p. 325). Exprimer le message signifie donc avant tout recueillir toutes les significations d’un texte et les faire converger vers l’unité du mystère, qui est unique, transcendant, inépuisable, et que nous pouvons par conséquent aborder sous de multiples aspects. À cette fin, la collaboration de beaucoup de personnes sera nécessaire pour analyser le processus d’insertion de la parole de Dieu dans l’histoire – ce que saint Jean Chrysostome a désigné sous le terme de sunkatabasis ou condescensio (Hom. 17,1, in Gn 3,8 ; PG ,53, 134), – selon la variété des langages et des cultures humaines : cela permettra de saisir en chaque page le sens universel et immuable du message, et de le proposer à l’Église, pour une intelligence véritable de la foi dans le contexte moderne et une application salutaire aux graves problèmes qui tourmentent les esprits réfléchis à l’heure actuelle. Il vous revient, à vous exégètes, d’actualiser, selon le sens de l’Église vivante, la Sainte Écriture, pour qu’elle ne demeure pas seulement un monument du passé mais qu’elle se transforme en source de lumière, de vie et d’action. C’est seulement de la sorte que les fruits de l’exégèse pourront servir à la fonction kérygmatique de l’Église, à son dialogue, s’offrir à la réflexion de la théologie systématique et à l’enseignement moral, et devenir utilisables pour la pastorale dans le monde moderne.
Le bienheureux pape Jean-Paul II s’émerveillait devant un aréopage de scientifiques du discernement du père Lagrange dans les moments troubles de l’histoire :
« Certains, dans le souci de défendre la foi, ont pensé qu’il fallait rejeter des conclusions historiques, sérieusement établies. Ce fut là une décision précipitée et malheureuse. L’œuvre d’un pionnier comme le père Lagrange aura été de savoir opérer les discernements nécessaires sur la base de critères sûrs[29]. »
La prière mariale du père Lagrange[30]
La foi de l’Église est la foi de la Vierge Marie. Imprégné dès son enfance de la dévotion à la Vierge Immaculée si chère aux Lyonnais, le père Lagrange a vécu en communion quotidienne avec la Mère de Jésus qu’il priait dans le Rosaire.
En bon dominicain, cette relation filiale envers la Vierge Marie se traduisait en fruits apostoliques. L’École biblique ainsi que plusieurs ouvrages exégétiques ont été mis sous le patronage de la Mère de Dieu. Il aimait choisir les fêtes de la Vierge pour signer ses études bibliques.
Disciple et missionnaire de son Fils[31], la Vierge Marie joue un rôle important dans la foi des chrétiens et dans la Nouvelle Évangélisation.
Dans son Journal spirituel, il reprend la belle et audacieuse image employée par saint Louis-Marie Grignion de Montfort à la suite de saint Augustin pour décrire l’action de la Vierge Marie sur les âmes : « Marie, le moule de Dieu ». Dans son élan apostolique, le père Lagrange invite à entrer dans « ce moule où les âmes deviennent semblables à Jésus[32] ».
Reprenant une image audacieuse de saint Louis-Marie Grignion de Montfort employée à la suite de saint Augustin, le père Lagrange voit en Marie « le moule de Dieu » dans lequel le chercheur de Dieu est façonné à l’image du Fils unique de Dieu qui a pris chair dans le sein de la Vierge. Aussi invite-t-il les hommes à y entrer pour « devenir semblables à Jésus[33] ».
L’année de la foi sous le patronage du père Lagrange
Dans son Journal spirituel inédit, le père Lagrange confie les grands événements de sa vie spirituelle à l’intercession de tel ou tel saint : le saint du mois, le saint de la retraite spirituelle… Il me semble que l’Année de la foi, en lien avec la Nouvelle Évangélisation et le 50eanniversaire du concile Vatican II qui va du 11 octobre 2012 au 24 novembre 2013, pourrait le choisir comme patron et modèle de recherche de l’intelligence de la foi. Sa fidèle intercession apportera des grâces. Nombreux sont ceux qui témoignent déjà de l’action bienfaisante de ce serviteur de Dieu à travers ses écrits, son exemple d’obéissance dans les épreuves et sa prière à la Vierge Immaculée.
Fr. Manuel Rivero o.p. Vice-postulateur de la Cause de béatification du père Lagrange Site Internet : www.mj-lagrange.org Courriel : pere.marie.joseph.lagrange@gmail.com Adresse de l’Association des amis du père Lagrange : Dominicains. 9 rue Saint-François-de-Paule. 06357 Nice Cedex 4.
- Voir : Synode des évêques, XIIIe Assemblée ordinaire, La Nouvelle Évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne, Instrumentum laboris, Cité du Vatican 2012. En rigueur de termes, la foi est une grâce divine dont les hommes peuvent témoigner par l’exemple et la parole. L’expression « transmission de la foi » appelle cette précision. Voir aussi le dossier « Les chemins de la Nouvelle Évangélisation », Documentation catholique, N° 2490, Tome CIX, 94e année, 20 mai 2012. Documents épiscopat n°11/2011 : Au défi de la nouvelle évangélisation, par Mgr Dominique Rey. Documents épiscopat n°12/2011 : La nouvelle évangélisation selon les lineamenta du prochain Synode des évêques (Rome, 2012), par le père Jean-Louis Souletie.↵
- Rivero, Manuel, Prier 15 jours avec le père Lagrange, fondateur de l’École biblique de Jérusalem, Paris, Éditions Nouvelle Cité, 2008.↵
- J.M. Cabodevilla, Palabras son amores. Límites y horizontes del diálogo humano, Madrid, BAC, 1980, p. 251.↵
- Jean-Paul II, Discours à la XIXe Assemblée du CELAM (Port-au-Prince, 09.03.1983), 3 : AAS 75 I (1983) 778.↵
- Discours pour l’inauguration de l’École biblique de Jérusalem, le 15 novembre 1890. Le père Lagrange au service de la Bible. Souvenirs personnels, Paris, Cerf, 1967, p. 104.↵
- Voir à ce propos : Los Dominicos y el Nuevo Mundo siglos XIX-XX. Actas del V° Congreso Internacional Querétaro, Qro. (México) 4-8 septiembre 1995, José Barrado Barquilla, OP., Santiago Rodriguez, OP., (Coordinadores), Salamanca, Editorial San Esteban, 1997, Discours inaugural prononcé par le Dr. D. Enrique García Burgos, Gouverneur de l’État de Querétaro, le 4 de septembre 1995, PP. 21-22.↵
- Saint Thomas d’Aquin, Sentenc. Lib. II, dist. 2a, quaest. 1a, art. III. Cité dans l’Avant-propos du premier numéro de la Revue biblique, 1892, Paris, P. Lethielleux, libraire-éditeur, P. 11-12.↵
- Lettre du cardinal Carlo Maria Martini au frère Manuel Rivero en faveur de la béatification du père Lagrange, Jérusalem, 22 juillet 2007.↵
- Lagrange, (Marie-Joseph), L’Évangile de Jésus-Christ, avec la synopse évangélique traduite par le frère Lavergne O.P., Paris, Librairie Lecoffre. J. Gabalda et Cie, éditeurs. 1954, p. XIII.↵
- Actes du Chapitre général électif de l’Ordre des prêcheurs, célébré à Rome du 1er au 21 septembre 2010, sous la présidence du frère Bruno Cadoré, docteur en sacrée théologie et maître de tout l’Ordre des prêcheurs. N°134.↵
- Voici quelques références bibliographiques sur la théologie de la communication. Felicísimo Martínez Díez a bien posé la problématique dans son livre « Teología de la comunicación », Madrid. BAC. 1994 ; Christine A. Mugridge et Marie Gannon, John Paul II development of theology of communication, Foreword by Cardinal John Patrick Foley, Libreria editrice vaticana, 2008 ; Gian Franco Poli-Marco Cardinali, La communicazione in prospettiva teologica. Reflessione sugli aspetti comunicativi della fede, Leumann (Torino), Editrice Elle Di Ci. 1998 ; Claudio Giuliodori – Giuseppe Lorizio (edd), Teologia e comunicazione, con prefazione del card. Camillo Ruini, Milano, Edizioni San Paolo, 2001.↵
- Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, q.1, a.7. Paris, Éditions du Cerf, 1984, P. 159. Dans le même article, le Docteur Angélique répond à l’objection sur l’impossibilité de connaître Dieu : « Il est vrai, nous ne pouvons pas savoir de Dieu ce qu’il est ; toutefois, dans notre doctrine, nous utilisons, au lieu d’une définition, pour traiter de ce qui se rapporte à Dieu, les effets que celui-ci produit dans l’ordre de la nature ou de la grâce. Comme on démontre en certaines sciences philosophiques des vérités relatives à une cause au moyen de son effet, en prenant l’effet au lieu de la définition de cette cause » (p. 159-160).↵
- Première épître de saint Jean 4, 8.↵
- Saint Irénée de Lyon : « Dès le commencement, le Fils est le révélateur du Père, puisqu’il est dès le commencement avec le Père ; les visions prophétiques, la diversité des grâces, ses propres ministères, la manifestation de la gloire du Père, tout cela, à la façon d’une mélodie harmonieusement composée, il l’a déroulé devant les hommes, en temps opportun, pour leur profit » (Contre les hérésies, IV, 20, 7, traduction A. Rousseau, Paris, Éditions du Cerf, 1984, p. 473-474).↵
- Lagrange, (Marie-Joseph), L’Évangile de Jésus-Christ, avec la synopse évangélique traduite par le frère Lavergne O.P., Paris, Librairie Lecoffre. J. Gabalda et Cie, éditeurs, 1954, p. XIV.↵
- Évangile selon saint Jean 8, 32.↵
- Évangile selon saint Jean 16, 13.↵
- Christine A. Mugridge et Marie Gannon, John Paul II development of theology of communication, Foreword by Cardinal John Patrick Foley, Libreria editrice vaticana, 2008.↵
- Épître de saint Jacques 1, 22. Traduction de la Bible de Jérusalem.↵
- Cf. Bernard Montagnes, « Lagrange dénoncé à Pie X en 1911 », in Archivum fratrum praedicatorum, vol. LXXVI, Istituto Storico Domenicano, Roma, 2006, pp. 217-239.↵
- Sur l’histoire du mot communion, le frère L.-M. Dewailly a écrit un article documenté « Communio-Communicatio », dans la RSPT (Revue des sciences philosophiques et théologiques). Tome IV, Paris, J. Vrin. 1970, PP. 46-63.↵
- Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini, Paris, Éditions du Cerf, 2010.↵
- RB, 1892, p. 2.↵
- RB, 1892, p. 8.↵
- RB, 1892, p. 2.↵
- RB, 1892, p.1-2.↵
- Éloge funèbre du frère Évagre prononcé par le père Lagrange le 4 mars 1914 en l’église du patriarcat latin à Jérusalem, en présence du patriarche latin PH. Camassei et du consul général de France G. Gueyraud : « C’est de sa mère qu’il (frère Évagre) tint cette recette, qu’il recommandait volontiers, de prendre chaque matin une petite tasse de bonne humeur. Cette mère, si courageuse dans sa tendresse, ne se doutait sans doute pas qu’elle donnait une forme agréable à la célèbre maxime de saint Antoine contre les tentations. Le premier remède est la gaieté, le second, la gaieté, et le troisième ? La gaieté. » (Marie-Joseph Lagrange, O.P., L’Écriture en Église. Choix de portraits et d’exégèse spirituelle (1890-1937), Présentation par Maurice Gilbert, s.j., Lectio divina 142, Paris, Éditions du Cerf, 1990, p. 54).↵
- Documentation catholique, 71 (1974), p. 326.↵
- Jean-Paul II, Discours aux membres de l’Académie pontificale des sciences le 31 octobre 1992.↵
- Voir M. Rivero, Le père Lagrange et la Vierge Marie. Méditation des mystères du Rosaire, Paris, Éditions du Cerf, septembre 2012.↵
- Voir la Ve Conférence générale de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes, Aparecida, 13-31 mai 2007, « Disciples et missionnaires de Jésus-Christ pour que nos peuples aient la vie en lui », Paris, Éditions du Cerf, 2008, p. 153-156.↵
- M.-J. Lagrange, Journal spirituel (inédit), Deuxième cahier, 24 août 1910. « La pensée hardie du bienheureux Grignion de Montfort : Marie est le moule où les âmes deviennent semblables à Jésus. Entrez dans ce moule ! ». Voici la pensée de saint Grignion de Montfort dans son “Traité sur la vraie dévotion” : N° 219 : « Remarquez, s’il vous plaît, que je dis que les saints sont moulés en Marie. Il y a une grande différence entre faire une figure en relief, à coups de marteau et de ciseau, et faire une figure en la jetant en moule : les sculpteurs et statuaires travaillent beaucoup à faire des figures dans la première manière, et il leur faut beaucoup de temps. Mais à les faire dans la seconde manière, ils travaillent peu et les font en fort peu de temps. Saint Augustin appelle la Sainte Vierge “ forma Dei : le moule de Dieu ”. Celui qui est jeté dans ce moule divin est bientôt formé et moulé en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en lui. À peu de frais et en peu de temps il deviendra dieu, puisqu’il est jeté dans le même moule qui a formé un Dieu. » N°220 : Il me semble que je puis fort bien comparer ces directeurs et personnes dévotes qui veulent former Jésus-Christ en soi ou dans les autres par d’autres pratiques que celle-ci, à des sculpteurs qui, mettant leur confiance dans leur savoir-faire, leurs industries et leur art, donnent une infinité de coups de marteau et de ciseau à une pierre dure, ou une pièce de bois mal polie, pour en faire l’image de Jésus-Christ. Et quelquefois ils ne réussissent pas à exprimer Jésus-Christ au naturel, soit faute de connaissance et d’expérience de la personne de Jésus-Christ, soit à cause de quelque coup mal donné qui a gâté l’ouvrage. Mais pour ceux qui embrassent ce secret de la grâce que je leur présente, je les compare avec raison à ces fondeurs et mouleurs qui, ayant trouvé le beau moule de Marie, où Jésus-Christ a été naturellement et divinement formé, sans se fier à leur propre industrie mais uniquement à la beauté du moule, se jettent et se perdent en Marie pour devenir le portrait au naturel de Jésus-Christ. N° 221 : Ô la belle et véritable comparaison ! Mais qui la comprendra ? Je désire que ce soit vous, mon cher frère, mais souvenez-vous qu’on ne jette en moule que ce qui est fondu et liquide : c’est-à-dire qu’il faut détruire et fondre en vous le vieil Adam, pour devenir le nouveau en Marie. »↵
- M.-J. LAGRANGE, Journal spirituel (inédit), Deuxième cahier, 24 août 1910. « La pensée hardie du bienheureux Grignion de Montfort : Marie est le moule où les âmes deviennent semblables à Jésus. Entrez dans ce moule ! ». Voici la pensée de saint Grignion de Montfort dans son « Traité sur la vraie dévotion » au N° 219 : « Remarquez, s’il vous plaît, que je dis que les saints sont moulés en Marie. Il y a une grande différence entre faire une figure en relief, à coups de marteau et de ciseau, et faire une figure en la jetant en moule : les sculpteurs et statuaires travaillent beaucoup à faire des figures dans la première manière, et il leur faut beaucoup de temps. Mais à les faire dans la seconde manière, ils travaillent peu et les font en fort peu de temps. Saint Augustin appelle la Sainte Vierge “ forma Dei : le moule de Dieu ”. Celui qui est jeté dans ce moule divin est bientôt formé et moulé en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en lui. À peu de frais et en peu de temps il deviendra dieu, puisqu’il est jeté dans le même moule qui a formé un Dieu. »↵
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