Écrits de circonstances
Extrait de la Revue biblique n° 1 (1896), Chronique
“De Suez à Jérusalem par le Sinaï” p. 621
“Garde ma loi, observe mes commandements”
Mais déjà nous sommes dans le désert : peu à peu les conversations tombent, et l’entretien commence avec la solitude, la solitude tant aimée quand on a une fois noué commerce avec son âme. La solitude a eu ses amants passionnés auxquels la civilisation ne faisait éprouver qu’une intense nostalgie du désert : comme ces grands anachorètes dont la légende disait : pris d’un amour ineffable de la solitude : incredibili solitudinis captus amore. C’est qu’elle a sa grande beauté, beauté austère, et qui ne sera jamais goûtée du grand nombre, beauté qui se révèle à ceux qui savent le mériter par la fatigue physique et la privation de ce qui fait l’attrait du monde, beauté qui se manifeste dans l’unité d’une impression très grande, presque écrasante, si on n’y trouvait Dieu. Ce n’est pas que le désert soit monothéiste, puisque les anciens Sémites n’ont su que le peupler d’êtres étranges, plus malfaisants que leurs propres dieux, mais Dieu qui attend toujours l’occasion de parler à l’âme la trouve plus facilement dans ce silence des choses. Sous le poids d’une chaleur qui faisait vibrer l’air, encore plus accablé de l’éclat d’une lumière dure aux yeux, j’ouvris le livre et je lus : « Garde ma loi, observe mes commandements. » Cette voix pénétrait jusqu’à l’esprit, transperçant de crainte ma chair si souvent rebelle, si lourde à l’élan de l’âme, si sourde aux appels divins. Il me semblait que je n’avais jamais lu ces paroles nulle part, tant elles me paraissaient graves : et je compris comment le désert avait été nécessaire au peuple de Dieu avant de pénétrer dans la Terre promise. Et si telle est la voix de la solitude dans l’accablement du plein midi, qui dira la magie enivrante de la lumière du soir ?
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