31 juillet 2022
Les biens de la terre et la vie de l’âme
« Or, Dieu lui dit : Insensé ! cette nuit, on te redemande ton âme ; et ce que tu as préparé, à qui ira-t-il ? Ainsi en est-il de celui qui thésaurise pour lui-même, et n’est pas riche en vue de Dieu (Luc 12, 20-21) ».
P. Lagrange : L’appel de Dieu fait partie de la parabole. La voix retentit dans la nuit (cf. Job 4, 12), au moment où les impressions sont les plus fortes et où rien n’en distrait. Le sujet est un pluriel indéterminé (cf. Ez 3,25) ; ils ne sont ni des brigands, ni des anges, mais ceux que cela regarde dans l’occasion v. 11, 48 ; 6, 38 ; 23, 31, et en définitive les exécuteurs des volontés de Dieu qui seul a le droit de « redemander » l’âme ; cf. Sg 15, 8, de l’homme auquel on redemande la dette de son âme. L’âme n’est pas la vie, mais, comme précédemment, le principe de la vie. Seulement il se trouve qu’elle n’est pas destinée seulement à jouir : elle a été donnée par Dieu pour un autre usage, il la redemande, sûrement pour exiger des comptes (v. 5). – Les derniers mots ne sont pas le point le plus douloureux, mais justifient leur ironie. L’insensé n’a seulement pas pourvu à sa succession, et d’ailleurs qu’importe ? ce qu’il a préparé ne sera pas pour lui.
Voilà à qui ressemble et dans quel cas se met celui qui… le premier terme est clair : celui qui acquiert la richesse pour en jouir sans plus. Le second terme est compris de bien des manières : celui qui use bien de ses richesses au service de Dieu, ou bien : celui qui est riche de biens spirituels, de richesses préparées auprès de Dieu ; ou qui fait en aumônes un emploi salutaire de ses biens. Il semble que la conclusion ne dépasse pas la parabole, par conséquent n’enseigne rien sur le bon emploi des richesses. L’essentiel est de ne pas imiter, l’insensé qui y mettait tout son espoir comme si Dieu n’existait pas, et, si l’on est riche, qu’on soit riche en regardant Dieu comme sa fin. (L’Évangile selon saint Jean, Lecoffre-Gabalda, 1941, pp. 359-360.)
Photo : Parabole de l’homme riche (1627) Rembrandt
25 juillet 2022
Quelle doit être l’ambition de ceux qui veulent à régner avec Jésus
« Quant à mon calice, vous le boirez ». ( Matthieu 20, 23)
« Vous ne savez pas ce que vous me demandez. » N’avaient-ils donc pas entendu ou n’avaient-ils pas compris ce qu’il venait de leur dire, qu’il n’entrerait lui-même dans la gloire qu’après avoir souffert ? Était-il décent de solliciter des places à ses côtés dans la gloire, sans être disposé à partager son lot, même dans la mort ? Ces souffrances et cette mort, il les compare à un calice amer qu’il faut boire et encore à une eau profonde dans laquelle il doit être plongé (être baptisé, c’est-à-dire plongé dans le malheur, est une expression usitée par les écrivains profanes ; le dernier trait n’est que dans Marc, mais il est sûrement authentique). Les deux frères n’écoutent que leur cœur : « Nous le pouvons ». Jésus accepte cette assurance de leur fidélité : Le calice que je dois boire, vous le boirez ; et le baptême dont je dois être baptisé », vous en serez baptisés. » De cette endurance ils seront sûrement récompensés. Mais le Fils de Dieu, dans son rôle de Messie, n’a pas à distribuer les places à sa droite et à sa gauche ; cela appartient au Père. Les deux frères ne se distinguaient sans doute pas clairement le royaume que le Messie allait fonder sur la terre, qui était spécialement son royaume (Mt 13, 41), et le royaume des élus, qui était celui de son Père. Leur pensée se portait sur la gloire. Or, la gloire, c’était la béatitude auprès de Dieu, où Jésus régnerait aussi, mais dont les degrés étaient assignés par un décret éternel. La prétention des deux frères était donc déclinée, sans être ni agréée, ni repoussée, car les desseins du Père ne doivent pas être dévoilés. Mais leur destinée terrestre était prédite : ils seraient associés aux souffrances de leur maître. Dans quelle mesure ? Ce point devint clair pour Jacques, l’aîné, qu’Hérode Agrippa fit décapiter (Ac 12, 2) quelques années après la mort de Jésus, en l’an 44. Mais la tradition ancienne tenait pour certain que Jean avait terminé sa vie par une mort naturelle ? Cependant, relégué à Patmos, il avait souffert pour son maître une peine très dure. Tertullien crut pouvoir ajouter qu’il avait été plongé, sur l’ordre de Domitien, dans une cuve d’huile bouillante. D’autres lui firent boire, sans fâcheuses conséquences, un calice empoisonné. Même à défaut de ces traditions, la métaphore du calice et du baptême n’est pas tellement précise qu’elle ne puisse s’entendre d’une longue vie d’apostolat, par conséquent de labeurs, de souffrances et de persécutions.
[…] Les dix autres apôtres n’entendirent pas la prédication de Jésus d’une façon si tragique. Et ils furent beaucoup moins frappés de la fidélité courageuse des deux fils de Zébédée que de leur ambition. Au lieu de les plaindre, ils s’indignèrent, tant leur imagination se portait aisément vers la gloire du Messie que vers ses souffrances. La mère des fils de Zébédée aurait souhaité un entretien confidentiel ; mais les autres, placés à quelque distance, avaient tout entendu. Jésus les fait approcher pour donner à tous la leçon que méritait leur tendance commune à l’ambition, et que rendait encore plus opportune leur inintelligence obstinée de son rôle comme Messie. (Marie-Joseph Lagrange. L’Évangile de Jésus Christ avec la synopse évangélique. Artège, 2017, p.452-453.)
Photo : La requête de la mère des fils de Zébédée à Jésus. (auteur inconnu)
19 juillet 2022
« Qui est ma mère et qui sont mes frères ? Et étendant la main sur ses disciples, Jésus dit : « Voici ma mère et mes frères. Car quiconque fait la volonté de mon père qui est aux cieux, c’est lui qui est mon frère, et ma sœur, et ma mère ! » (Matthieu 12, 48-50.)
Enseignement : Cette réponse contient donc un point essentiel de la doctrine ; elle indique le caractère de la prédication de Jésus, l’appel le plus cordial aux bonnes volontés, avec l’assurance de rencontrer en échange dans son Cœur ce que les affections humaines ont de plus tendre. Cela est mis en pleine lumière. D’autres considérations demeurent dans l’ombre. Les devoirs sacrés de la famille ne sont pas niés. Jésus ne renie pas sa Mère. On voit seulement qu’il attache plus de prix à ses sentiments envers Dieu qu’aux soins dont elle a bercé son enfance. L’Église, en mettant Marie à la tête de la nouvelle famille spirituelle de Jésus, très au-dessus de tous les saints, a interprété sa pensée. (Marie-Joseph Lagrange, L’Évangile de Jésus Christ avec la synopse évangélique, Artège, 2017, pp. 192-193.)
16 juillet 2022
Au fil des lectures … Le rayonnement du P. Lagrange
Françoise Hildesheimer : Une brève Histoire de l’Église. Le cas français (IVe-XXIe siècles),
format Kindle, Champs Histoire, 2019.
Dans cet ouvrage, très intéressant, bien documenté, Françoise Hildesheimer (1949-), archiviste et historienne française, propose à ses lecteurs une vision inédite de l’histoire de l’Église catholique de France. Françoise Hildesheimer est la fille d’Ernest Hildesheimer, célèbre archiviste et historien de Nice et de la Côte d’Azur.
Chapitre IX – Modernistarum callidissimum artificium (1), p. 257, § Roma locuta… causa non finita, Mme Hildesheimer écrit :
« Aux crises scientifiques et politiques font suite des controverses théologiques, et l’Église se voit une fois encore obligée de se remettre en question. Ainsi les études bibliques échappent-elles au naufrage avec Albert Lagrange (1855-1938) (2), fondateur d’une école d’Écriture sainte au couvent dominicain de Saint-Étienne à Jérusalem en 1889 : l’École pratique des hautes études bibliques. Animé par le constat d’infériorité intellectuelle des études catholiques face aux travaux de protestants allemands et voulant donner à la foi une assise solide, il y promeut enfin une étude croyante, scientifique et ecclésiale de la Bible. Lors du congrès scientifique international catholique tenu à Fribourg en 1897, il pose les principes d’une herméneutique théologique de la Bible, distinguant le plan divin du salut révélé par la Bible, et l’historicité du récit biblique qui relève d’autres critères de lecture. Toutefois, la question de l’authenticité mosaïque du Pentateuque est pour lui source de problèmes et il devra renoncer à publier sur ce thème (Rome lui interdit de faire paraître ses travaux sur la Genèse). Par ailleurs, l’École pratique des hautes études bibliques, un temps fermée, est concurrencée par l’Institut biblique pontifical de Rome créé par le pape et confié aux jésuites en 1909. Mais la qualité de ses travaux aboutit en 1920 à sa reconnaissance par l’Académie des inscriptions et belles-lettres sous le nom d’École biblique et archéologique française (3). »
Notes
(1) La très grande tromperie des modernistes – Encyclique Pascendi, 1907.
(2) Bernard Montagnes, Le Père Lagrange (1855-1938). L’exégèse catholique dans la crise moderniste, Cerf, 1995 ; Marie-Joseph Lagrange. Une biographie critique, Cerf, 2005.
(3) Le 30 septembre 1943, par l’encyclique Divino afflante Spiritu, Pie XII, consacrant la méthode ainsi développée, reconnaîtra la valeur de l’exégèse scientifique pour l’interprétation des livres saints. De 1948 à 1954 paraîtra la Bible de Jérusalem (version unifiée en 1956). En 1965 enfin, avec la constitution Dei Verbum, le concile Vatican II élargira la perspective en déclarant l’accès à l’Écriture largement ouvert à tout chrétien et en légitimant la critique exégétique.
14 juillet 2022
Voici un message de frère Manuel Rivero o.p., président de l’association des amis du père Lagrange et vice-postulateur de la cause de béatification du serviteur de Dieu Marie-Joseph Lagrange o.p. :
Bonjour,
Chaque trois ans le Chapitre général de l’Ordre des prêcheurs réunit les frères délégués des provinces dominicaines pour actualiser les lois et étudier les questions posées par l’annonce de l’Evangile.
En 2019, j’ai eu la joie de participer au chapitre général du Vietnam comme traducteur. Cette année ce sera le Mexique s’il plaît à Dieu. Septième chapitre général, un comme définiteur à Rome en 2010 et six comme traducteur (Avila, Bologne, Providence (USA), Croatie, Vietnam et Mexique).
Le départ pour Mexico est prévu le jeudi 14 juillet ; le chapitre commence le samedi 16 juillet en la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel ; la clôture est prévue pour la fête de saint Dominique le 8 août dans la basilique de Notre-Dame de Guadeloupe (Mexico). Je pense être de retour à La Réunion le vendredi 12 août.
Je vais faire une pose à Paris, au couvent de l’Annonciation, demain et mercredi 13 juillet, avant de reprendre le vol pour le Mexique le 14 juillet.
En vous gardant dans ma prière au Christ Sauveur, je me confie à la vôtre. Fr. Manuel.
Photo : Logo du Chapitre Général de Tultenango (Mexico) :
The Dominican friars will celebrate their General Chapter of Definitors in Tultenango, Mexico, from 16 July to 8 August 2022.
The graphic representation designed to accompany the activities of the General Chapter Tultenango 2022, aims to highlight the term ”origin” in two aspects:
The idea is to represent the beginning and development of the Dominican Friars, through the integration of St. Dominic of Caleruega (their founder) with the cross on the shield as a symbol of development.
Origin as provenance. We have incorporated Mexican motifs to personalise the graphics
of this edition, taking up elements of the Piedra del Sol.
Saint Dominic of Caleruega: founder of the Order of Preachers
Pre-Hispanic motifs: from the Piedra del Sol (Aztec Sun Stone)
Pre-Hispanic Greca: the triangles symbolise stability (pyramid) and because they are the origin of the arrow, they also represent direction.
The circles have many interpretations. In our case their outline symbolizes continuity.
Dimanche 10 juillet 2022 – Jour-anniversaire du dies natalis du père Marie-Joseph Lagrange O. P.
En communion avec le frère Manuel Rivero O.P., nous prions pour la béatification du père Lagrange, confions à son intercession nos demandes de grâces. www.mj-lagrange.org et prions les uns pour les autres.
L’enseignement de ce dimanche évoque la parabole du bon Samaritain :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. » « Mais, qui est mon prochain ? » (Luc 10, 27 ; 29)
– Posée spéculativement et à propos de la Loi, la question : qui est mon prochain ? semble dire : envers qui suis-je tenu à observer le précepte ? C’était provoquer une discussion délicate, où la raison pouvait objecter des difficultés plus ou moins plausibles, s’il s’agit d’un ennemi, s’il attaque les armes à la main, etc. Jésus transporte la question dans le domaine des faits. Elle est tranchée par la miséricorde d’un Samaritain envers un homme qui souffre et dont il ne s’informe pas. Et il se trouve que cette solution du cœur résout tous les cas théoriques. C’est de cette façon que pendant la guerre les femmes de France ont su quel était leur prochain. Il ne convient sans doute pas d’exiger de qui donne de si hautes leçons de les présenter dans le cadre scolaire des demandes et des réponses.
La réponse était dictée par la question ; elle est naturelle. La recommandation de Jésus est très générale ; il ne dit pas : même un ennemi peut être le prochain, ni tous les hommes sont ton prochain. Mais : Sois charitable envers tous ceux qui ont besoin de ton secours. Dans les sens allégoriques des anciens : Le Christ est le bon Samaritain. (extrait des commentaires de Marie-Joseph Lagrange O. P., L’Évangile selon saint Luc, Lecoffre-Gabalda-5° édition éd., 1941, pp. 311-316)
4 juillet 2022
La Bible de Jérusalem telle que nous la connaissons aujourd’hui a fait l’objet d’un travail incommensurable. Le père Lagrange y a joué un rôle majeur, par ses recherches, par ses études, poursuivi par toute une équipe de biblistes, jusqu’en 1948, date de la première édition.
1913 – Dans son Journal spirituel, le père Lagrange mentionne : « Départ pour Marseille, et de Marseille le 4 juillet à 11 heures. À Jérusalem, je travaille aussitôt à un gros article sur Le Nouveau Testament de Soden, à S. Justin. Ave Maria. »
L’article sur le Nouveau Testament de Soden [Hermann (1852-1914)] se retrouve, pour une première partie, dans la Revue biblique, octobre 2013, pp. 481-524, et dans celle de 1920, pp. 321-359.
Le premier article est intitulé : Une nouvelle édition du Nouveau Testament. Les premières lignes montrent combien cet ouvrage est important :
– « Il a été donné à M. le baron von Soden d’achever l’œuvre ardue à laquelle il a travaillé durant seize ans, et il a eu aussi la joie d’en faire hommage à Mademoiselle Élise Koenigs,dont le dévouement généreux n’a cessé de lui venir en aide.
La Revue (1904 ; 594-598 ; 1907, 282-286 ; 1908, 299 ; 1910, 605-607) a indiqué les premières assises du monument qui est aujourd’hui terminé. C’était une suite d’études sur presque tous les points critiques textuelle du N. T. Le volume de 2203 pages qui les contient, dans le texte le plus fin et le plus dru, avec des raffinements de concision, offrira longtemps des matériaux et des sujets de travail. […] Nous ne pouvons-nous dérober au devoir de présenter à nos lecteurs cet admirable ouvrage. La tâche est délicate puisqu’il ne nous a pas été possible de pénétrer dans les détours d’une construction forcément très compliquée. C’est pour ainsi dire du dehors que nous voudrions en apprécier les grandes lignes. Encore nous bornerons-nous à ce qui regarde les évangiles. Après avoir élevé ce monument, la critique textuelle, si elle reprend une tâche jamais terminée, sera peut-être contrainte de diviser encore plus le travail et à étudier presque chaque livre du N. T. en particulier. »
Le deuxième article de l’édition de la Revue de 1920 est intitulé : L’Ancienne version syriaque des évangiles. Les premières lignes confirment :
– « Le Nouveau Testament de M. von Soden n’est pas une édition de tout repos. Les partisans du texte de Hort et Wescott apprécient le concours qu’il apporte en somme à l’édition anglaise. Mais un amateur rigoureux des précisions comme M. Hoskier déclare que c’est à pleurer. Et en Allemagne même, M. Lietzmann regarde avec compassion son compatriote comme une victime des préjugés. Ce qui renaît c’est la grave question du texte dit occidental. Soden ne l’a pas mieux traité que Hort. On le lui reproche et la déception est grande, au lendemain du jour où Blass avait en quelque sorte canonisé ce texte – du moins pour les ouvrages de Luc – puisqu’il ne serait autre qu’une recension émanée de la plume de Luc. […] Cependant, – quoiqu’on pense du système de von Soden – il est incontestable que depuis ses travaux et ceux de son équipe, on peut serrer la question de plus près. »
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